Cyprien a voyagé...

Toute l'équipe de la Fondation est en deuil, à l'annonce du décès de l'immense artiste, Cyprien Tokoudagba. Une page de l'histoire de la Fondation se tourne...  
Notre ami nous a quitté, mais, à travers ses oeuvres, il reste éternel.


Retour sur l'exposition "Dahomey, Rois et Dieux", en 2006...
Tout ce que produit Tokoudagba est œuvre d’art. Sa peinture, sa sculpture, ses restaurations, son travail d’architecte, sa parole devant la caméra, sa pose devant l’objectif. Tout ce qu’il façonne est pure création. Quand il a conçu l’exposition de Cotonou il n’a rassemblé aucune œuvre ancienne, il a produit soixante quatre peintures originales, dix grandes sculptures et il a construit un temple. Il l’a fait comme toujours en atelier, avec Madeleine avec Damien, et avec Elise, sa famille. Mais il agrandi l’atelier : il l’a fait avec moi, avec le photographe Jean-Dominique Burton, à qui on doit toutes les photographies de cet ouvrage et avec le cinéaste Léonard Matton dont les films projettent la genèse des œuvres parmi les œuvres.

Tokoudagba élimine toutes les questions qui ne peuvent pas trouver de réponses. Est-il moderne ? Ses matériaux répondent pour lui : il n’y a pas de toiles ou de peintures à l’huile dans la tradition. Est-il ancré dans la tradition ? Rien ne serait possible s’il n’était un initié du vodou, un héritier des proverbes ou un gardien des légendes. Est-il un inventeur ? Personne ne lui ressemble, il n’imite personne, son style fait l’unité de l’œuvre. Est-il un artisan ? Est-il un artiste ? Il a décidé qu’il n’y avait pas de contradiction. C’est le regard de l’autre qui pose la différence. Les créateurs le regardent en créateur, les conservateurs le conservent, les collectionneurs le collectionnent et les touristes l’achètent, mais ce ne sont pas les acheteurs de Van Gogh qui ont défini Van Gogh ; au demeurant, ils ne l’avaient pas acheté très cher. 

Est-il au musée comme on est en prison ? Il s’en échappe. Il a d’ailleurs décidé de construire son propre musée chez lui à Abomey. Il en invente les formes, changeantes chaque semaine. Son musée est une œuvre qui ne s’achèvera jamais. Il a inventé le musée ininterrompu. Les occidentaux  pensent qu’ils ont inventé les musées pour conserver et préserver les œuvres, les Africains sourient. Les Grecs avaient seulement inventé un lieu pour les Muses. Senghor avait inventé, pour le premier Festival des Arts Nègres, un Musée Dynamique, à la fureur de Malraux qui l’avait pourtant inauguré. Tokoudagba, lui, crée un musée protéiforme et incessant. Il a aussi consenti à s’abriter pour quelques mois dans le musée de la Fondation Zinsou qui n’est rien d’autre qu’un espace de jeux et de rencontres pour les enfants et les jeunes gens du Bénin, qui n’ont rien à conserver et tout à découvrir d’eux-mêmes.


Mais rien n’enferme Tokoudagba, comme rien ne saurait enfermer la vitalité africaine. Le musée ne l’enferme pas. Le passé ne l’enferme pas. Les couleurs ne l’obligent pas. Les formes ne le contraignent pas. Tout est réinventé. Ceux qui partagent son initiation auront leur propre lecture des œuvres. Ceux qui connaissent leur histoire la retrouveront. Ceux qui l’ignorent l’apprendront. Ceux qui veulent l’ignorer se livreront à leurs émotions immédiates.
L’art métamorphose les dieux et les rois. Longtemps après qu’on a cessé de faire des sacrifices à Pallas Athéna, il reste la ferveur pour la statue chryséléphantine  de l’Acropole. De la mémoire de Jules II, il reste surtout Michel-Ange. Et du Dahomey il restera toujours Cyprien Tokoudagba.

Marie-Cécile

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