"Présentez le vrai visage de l'Afrique"



« Tout ce qui plaît à l’œil est photographiable et vendable. Si vous photographiez un objet, il prend vie, vous voyez ? Une fois qu’il est photographié, si nous prenons le temps de le regarder, il vit. Le regard donne une vie à l’image et chaque individu, et donc chaque photographe, a une vision différente.


Malick Sidibé, Matinée de baptême, 1968 ©Malick Sidibé



En Afrique, nous n’avons pas encore 200 ans de photos alors que certains ont 300 ans de photos environs donc il ne faut pas que l’on se mesure à ces gens qui nous ont déjà dépassés. La photographie, c’est plus sûr que l’écriture. Avec l’écriture on peut mentir mais avec l’image, on ne ment pas.


Malick Sidibé, Vue de dos, 1969 ©Malick Sidibé




Ce que je conseillerais aux jeunes c’est : "présentez le vrai visage de l’Afrique, de vos frères, parce que le monde ne finira pas maintenant !". C’est une succession et les gens auront besoin de l’histoire d’aujourd’hui pendant des années encore. Il faut présenter ce qui est. Une photographie correcte pour moi c’est une photographie classique. Parce que c’est ça l’histoire, c’est ça l’écriture. La vraie écriture, c’est l’image. C’est un message. Surtout en tant que portraitiste, c’est très social. Il faut montrer le vrai visage du sujet, montrer ce qui est vrai. On prend le vrai visage et l’intérieur est là ! Ca, c’est quelque chose ! Il faut faire une image correcte de votre pays ! Vos descendants trouveront ainsi toujours quelque chose qui était là, quelque chose de palpable.



Malick Sidibé, Combat des amis avec pierres, 1976 ©Malick Sidibé



Je suis plus vieux que Jean-Dominique Burton[1] mais je regrette de ne pas avoir fait, dans mon pays, ce qu’il a fait. Dans mon village, j’avais présenté une petite exposition des villageois que j’avais photographiés. Certains ont pleuré. C’est important de montrer la photographie des anciens qui sont morts. Donc je l’ai fait. Mais je regrette de ne pas avoir fait comme mon ami Jean-Dominique. Allez dans les villages, photographiez vos vieux, vos vieilles et la vie quotidienne aussi ! Il faut le faire parce que là aussi c’est une écriture, c’est l’histoire aussi, la géographie… Je crois que si Dieu me garde encore en vie, je vais essayer de le faire parce que cela me plait. 



Malick Sidibé, Fans de James Brown, 1965 ©Malick Sidibé


Le temps passe, chaque génération a son temps donc l’image peut rappeler cela aux anciens, aux arrières-petits-fils, ce que les ancêtres étaient en réalité. »

Malick Sidibé


[1] Ici, Malick Sidibé fait référence à Jean-Dominique Burton car celui-ci a également participé à la conférence organisée au Centre Culturel Français à Cotonou le jeudi 26 janvier 2006 dans le cadre de l’exposition "Regards Croisés - Afrique d’Aujourd’hui", aux côtés des autres artistes invités : Erick Ahounou et Romuald Hazoumè. Jean-Dominique Burton, né en 1952, est un photographe et réalisateur belge. Il a consacré nombre de ses travaux à l’Afrique, notamment au Bénin, où il a participé à trois expositions à la Fondation Zinsou. Parmi ses nombreux travaux, on peut citer "L’allée des Rois" consacré aux chefs traditionnels du Burkina Faso, ou encore, au Bénin, "Vodounons/Vodouns" et "Chasseurs Nagô – Royaume de Bantè".

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